Archi beau : Les jardins des Colombières à Menton, une allégorie à la déesse Méditerranée

Heureuse qui comme Ulysse a fait un beau voyage… Ce beau voyage, je l’ai fait à Menton, cet été, de différentes manières : à travers le temps des civilisations antiques méditerranéennes mais aussi à travers les espaces des allées de ce jardin grandiose, véritable mise en scène de la Nature imaginée par un homme inspiré, personnalité phare de la Belle Epoque. Je vous invite à découvrir les secrets et la beauté rare de ce domaine, véritable hymne à la Méditerranée...

Le maison des Colombières, c’est avant tout un site. Accolée à la frontière italienne entre mer et montagne, elle domine, fière. Elle ne passe pas inaperçue, parée d’un ocre vif, fidèle aux toiles de l’artiste vénitien du XVIème siècle Carpaccio.


 Pourtant, à l’origine, elle était la simple composante d’un domaine agricole, oliveraie centenaire.


Une oeuvre déconcertante

 La singularité de ce rouge rutilant qui met à l’honneur le gris bleu des oliviers et le vert foncé des pins, elle le doit à Ferdinand Bac, appelé en 1920 par la famille Ladan-Bockairy, les propriétaires de l’époque pour aménager et moderniser cet espace de 11 ha dans les hauts de Garavan. Bac se consacre à ce projet de 1920 à 1928 et réalise une œuvre déconcertante.




Je suis consciente du privilège qui m’est accordé de me promener dans ces allées. Dès le patio, on perçoit l’investissement du créateur, l’atmosphère qu’il a voulu donner à ce lieu, telle une mission spirituelle. 




A la base, il n’était ni paysagiste, ni décorateur ou architecte mais dessinateur, caricaturiste et écrivain, habitué à côtoyer les grands de ce monde.

 C’est par passion et intérêt pour l’art des jardins et l’Histoire qu’il a composé cette œuvre singulière et totale avec pour obsession de rendre hommage aux civilisations méditerranéennes.


Il va juxtaposer plusieurs jardins hiérarchisés, chacun d’eux étant consacré à un thème particulier, à un épisode mythologique ou à un symbole. 

Il conçoit vingt-six « fabriques » que l’on pourrait définir comme vingt-six arrangements botaniques autour de points d’intérêt tel un obélisque, une fontaine, une statue transportant le visiteur dans un univers hors du temps, presque magique mais surtout unique, offrant à chaque angle des perspectives toutes plus féériques sur la mer Méditerranée ou la vieille ville de Menton.









 J’ai l’impression de déambuler dans les allées des jardins suspendus de Pasargades bien disposée à croiser Cyrus le Grand !…









Une inspiration des thèmes antiques

Le fil rouge (sans jeu de mot aucun avec l’enduit de la demeure) de la pensée de Ferdinand Bac est dicté par le voyage homérique d’Ulysse. 


Dans le patio, des fresques ponctuent les murs du mythique périple. 




Dans le jardin, le seul épisode évoqué est celui de la rencontre du héros avec Nausicaa, la fille du roi des Phéaciens.

 Et ce n’est pas par hasard, me direz-vous puisqu’il s’agit de la fin heureuse du voyage, le début du retour à Ithaque. 

Ferdinand Bac avait assurément pour dessein de donner une note optimiste dans sa composition. Même si chaque évocation antique a été précisément choisie, chaque visiteur interprète finalement le jardin comme il le sent, avec sa sensibilité, sa connaissance, le souvenir de ses voyages. Des épisodes autour du périple antique d’Ulysse sont suggérés mais jamais imposés. Cette discrétion en fait également sa force.







Dans ce jardin encore, alors que les grandes villas alentours se targuent de végétations subtropicales exotiques, comme le jardin du Val Rahmeh ou celui de l’Hôtel Impérial, le microclimat mentonnais le permettant, on ne trouve que des plantes méditerranéennes : le palmier local, le cyprès originaire de Perse, l’olivier de Grèce et le pin de Syrie.






 L'art des jardins méditerranéens

La quintessence du berceau méditerranéen ne se résume d’ailleurs pas aux variétés de la végétation mais également dans l’art des jardins.

Le bassin du patio très peu profond, bordé par de majestueuses agapanthes et créant un miroir d’eau du plus bel effet, ne renvoie-t-il pas au principe des jardins perses ? Les colonnades l’entourant aux jardins grecs ? 




La fabrique à base octogonale juste derrière la villa est un jardin mauresque d’influence sassanide à n’en point douter.

 La conception même des espaces célèbre comme un culte les civilisations méditerranéennes. La mère nourricière de ces peuples, la Méditerranée, apparait ici comme une véritable déesse à part entière. Ferdinand Bac s’est nourri de ses voyages pour composer une sorte de synthèse des jardins du bassin méditerranéen et de leurs symboles. 

Une restauration fidèle

Plusieurs décennies se sont écoulées après cette création et dans les années 90, Michael et Margaret Likierman en ont fait l’acquisition. Après un véritable coup de foudre, il vont mettre leurs moyens au service de la restauration de cette propriété.






 Dans le respect de l’œuvre de Bac et épaulés par les architectes des bâtiments de France et paysagistes Arnaud Maurières et Eric Ossart, ils vont faire restaurer les lieux et faire revivre Nausicaa, Pan, Dionysos ou Ulysse. Tout a été refait à l’identique d’après les dessins de Bac sans faste ni ostentation. Seules quelques statues contemporaines se mêlent discrètement aux pavillons et colonnades. 

Grâce à la passion des propriétaires, le jardin centenaire n’a pas pris une ride. 

Une émotion inénarrable

Je garderai longtemps les images féériques de cette visite privée et les émotions qu’elle m’a procurées : l’époustouflante vue depuis le belvédère, l’incroyable beauté des fleurs de lotus, l’inénarrable sensation éprouvée assise à la table du pavillon perpétuellement ventilée par une brise légère des plus agréables en plein été, la profonde humilité devant le caroubier millénaire, l’effroyable admiration en contrebas de l’empierrement soumise au regard de la Gorgone Méduse, prête à me pétrifier au moindre faux pas, l’intense ivresse face à la sainte trinité du ciel, de la mer et des arbres, le délicat bouleversement devant la statue de l’Enfant Papillon et enfin la sincère gratitude envers les propriétaires de partager ce joyaux le temps d’une visite.















Quelle mise en scène de Dame Nature grandiose et simple à la fois ! L’œuvre d’un homme cultivé et inspiré qui s’est attaché à effacer toute séparation entre la résidence et son jardin. Le concept très actuel d’indoor-outdoor n’est donc pas une nouveauté… 




Il a su jouer de façon virtuose avec les espaces, encadrant avec un don certain les points de vue et perspectives, théâtralisant son œuvre ce qui a su ravir depuis le début Mme Likerman. Son époux avoue pour sa part que la maison et son jardin impose son propre rythme. «Vous êtes calme car la maison ne vous laisse pas faire autre chose 


Que j’aurais rêvé de me cacher derrière les haies de myrte ou de lentisques, d’intercéder auprès de Zeus pour prolonger mon voyage ! Il ne me reste plus, comme ultimes complaintes, qu’à invoquer la déesse Méditerranée pour nous offrir, encore et toujours, à Menton ou ailleurs, ses splendeurs et, tel Ulysse, joyeuse, plus qu’à obéir à l’instant.







Commentaires

  1. Majestueux !!! Vraiment surprenant et superbe ! Merci !! ( La prochaine fois on a droit à l'intérieur ?.... J'imagine que ça ne se visite pas sinon Gisèle aurait déjà des clichés !)

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    1. Oui c'est un jardin extraordinaire... Pour l'intérieur, effectivement, j'aurais adoré le découvrir!

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  2. Très beau, je comprends que tu aies eu envie de prolonger l'instant !! Texte et photos, top la classe !! Bravo Gisèle !

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    1. Merci beaucoup! Maintenant, il faut savoir retourner dans la vraie vie 😎

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  3. Superbe voyage homérique ! Merci Gisèle!

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  4. Magnifique article j’y travaille depuis octobre je suis peintre je restaure les monuments historiques !! C’est vraiment un endroit magique pleins de bonnes ondes..!!

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    1. Merci! Oui c’est un vrai paradis sur terre. Au plaisir ✨

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