Acte I : Un élégant appartement façon galerie

« Faisons de nos vies une œuvre d'art !», telle est la philosophie de la propriétaire de l'appartement que je m'apprête à vous faire découvrir. A l'instar des illustres Marcel Duchamp et Michel Foucault, elle s'est créé une esthétique de l'existence en s'entourant d'objets et d’œuvres d'art. Ce lieu est autant sublimé que la personne qui l'a révélé. Dévoilons sans plus attendre cet écrin hors du commun qui bouscule les codes.




Dans cet appartement, la maîtresse de maison vit au milieu d’œuvres d'art, d'éléments de décoration éclectiques, de meubles design. Elle a fait de son habitation un « appartement-galerie » privé dont chaque objet révèle un style, un souvenir, une humeur, une envie. 


Une entrée façon "White cube"

L'entrée toute en longueur me charme instantanément et me surprend à la fois. Le parti-pris décoratif se décline sur une gamme de neutralité : murs, plafonds blancs et parquets chêne qui se retrouveront dans l'essentiel de l'appartement. Les murs immaculés nous renvoient d'emblée au concept muséologique du « white cube », espace d'exposition  par excellence, conçu pour sublimer les œuvres d'art exposées en y supprimant tout contexte parasite. 



Cette entrée est une véritable mise en scène des collections hétéroclites de mon hôte : sculptures en terre, dessins, peintures, étoffes rares, lithographies ou encore verreries. L'espace est pensé comme une véritable galerie avec spots orientables, vitrines, niches intégrées et cimaises qui couvrent tous les murs. Le couloir très large permet le recul nécessaire pour apprécier les toiles. La scénographie imaginée mêle avec subtilité le côté cube blanc très contemporain et une volonté plus classique, presque XIXème, d'exposer les œuvres par superposition, accumulation, ce qui donne à l'ensemble une dimension singulière mais très réussie à l'espace d'accueil.



Je suis inévitablement obligée de m'attarder sur chaque mise en scène... Dans les niches, je découvre ici, un vase Gallé, là, une pierre de rêve chinoise propice à la méditation et d'autres objets rapportés de voyage. 



Cet agencement renvoie instantanément à un siège chinois ou à un grand panneau d'étoffe ancienne tissée qui vient apporter chaleur et douceur au blanc du mur qui le reçoit, tout comme le tapis pakistanais au sol. Ces touches de couleur existent comme des notes de musique qui font de cette entrée une véritable symphonie. On a l'impression que chaque objet ou tableau qui compose les murs cartographie les voyages accomplis, voyages touristiques ou spirituels.



 Un silencieux dialogue opère entre les objets et les œuvres. Sur une console par exemple, des statues en terre répondent à des boules de sulfure qui apostrophent elles-mêmes des esquisses ou toiles d'artistes locaux. 




Mais le « décor » qui m'interpelle le plus dans cet écrin monochrome, c'est une composition épurée constituée d'un tableau hypnotique de David Girin, d'une pantalonnière et de deux bougeoirs délicats en verre. Outre la symétrie et l'élégance de cet ensemble, le portrait de la jeune fille me séduit. On dirait une toile tout droit sortie du mouvement préraphaélite. On y retrouve par exemple l'atmosphère douce et lumineuse de la délicate toile de John Singer Sargent intitulée  « Carnation, Lily, Lily, Rose », de l'esprit des portraits de Dante Gabriel Rosseti ou de J.W. Waterhouse du même courant. 


Une vaste pièce à vivre inondée de lumière

Dans le reste de l'appartement, chaque pièce a son univers, selon sa forme et sa superficie. Derrière la cloison de l'entrée s'ouvre un très grand espace salon-salle à manger qui compose la pièce à vivre où il fait justement bon vivre et recevoir. De grandes ouvertures laissent entrer la lumière et offrent une vue panoramique exceptionnelle sur la ville. 



Inondé de lumière naturelle, même par temps couvert, de nouveaux objets et œuvres d'art sont parsemés ça et là et viennent dynamiser la pièce par leur forme et leur couleur. Le mobilier design affirme la décoration façon galerie. Ces quelques pièces tendances sont un véritable jalon du style de décoration de l'ensemble. Elles viennent insuffler une ambiance de modernité vivifiante. 




Parallèlement à ces meubles iconiques, une colonne indochinoise des années 1920 converse avec un cheval de bois ancien, une sellette fabriquée par le père de la propriétaire se dresse fièrement à côté de l'un des canapés brandissant sans complexe une belle lampe « Bourgie » de chez Kartell. Mix and match résolument réussi. 



Comme dans l'entrée, la collection présentée prend tout son sens dans le fait d'être élue par la maîtresse des lieux. Ses œuvres lui parlent et dialoguent avec elle. Chaque objet est choisi et résonne dans sa vie et dans ses goûts. 


La myriade d’œuvres d'art ne répond en rien à une certaine idée de spéculation mais se positionne plus volontiers dans une relation d'esthète et de passionnée. Ce qui compte, c'est la relation qu'elle entretient à sa collection.




Une passionnée d'art et de design
Dans le bureau aux dimensions plus intimes, même équation : œuvre d'art, comme cette surprenante sérigraphie d'Hervé Lelong aux allures de tapisseries d'Aubusson, pièce de design à l'image de la chaise longue LC4 imaginée par Charlotte Perriand et Le Corbusier et photos ou objets de l'ordre de l'intime, à l'image de ce canevas réalisé par la mère de la propriétaire qui n'est pas sans rappeler l'esprit des tapisseries de Jean Lurçat, le tout entouré de nombreux livres d'art, fil rouge de la visite.




L'art et le design se sont invités partout, au-delà des seules pièces de réception : dans la chambre, la cuisine et même là où on l'attend le moins, aux toilettes ! 





Des jeux de lignes, de couleurs, de perspectives s'entremêlent dans cet appartement spacieux de 160 m2. Tous les coins et les recoins sont prétextes à des mises en scène des coups de cœur de la maîtresse de maison. Les codes classiques comme les moulures, les boiseries et le parquet s'y prêtent si bien. 


Finalement, ces détails décoratifs si importants pour moi d'habitude se sont comme effacés pour donner la part belle aux œuvres. 


Un lieu qui bouleverse les codes

Assurément, ce lieu bouleverse les codes comme s'il ne s'interdisait rien. Ce souffle de liberté fait grand bien. On est loin des clichés parfaits « instagramables ». Il s'agit bel et bien d'un appartement habité, avec une âme. Il prouve que le mélange des styles fonctionne à merveille, à condition de trouver, comme ici, le bon équilibre, d'y mettre une belle dose de passion et de faire fi du carcan des codes. 


A l'image du Musée imaginaire de Malraux, les œuvres semblent comme délivrées de leur fonction, comme un type de confrontation de métamorphoses, une sorte de concert de mélodies de prime abord contradictoires mais qui au final fonctionnent à l'unisson. Je suis en train de vivre une expérience visuelle, cumulative déroutante mais tellement agréable. 



Je ne peux m'empêcher de l'assimiler enfin au Mur de l'Atelier d'André Breton composé d'objets divers qui tressent les souvenirs personnels en respectant les surprises du hasard. 

Au final, dans cet appartement, on sort des standards, pour mon plus grand plaisir. On est dans l'être, l'envie plutôt que le paraître et le diktat des tendances. Cet appartement-galerie est un appartement à vivre, à savourer, d'une personne attachée à la culture. Les objets exposés la reconnectent à son histoire ainsi qu'à l'Histoire avec un grand « h » témoignant d'un esprit, voire d'un humanisme artistique et littéraire. Pareillement au mouvement artistique des années 1960 « Fluxus », l'art se confond ici avec l'existence, abolissant la frontière élitiste entre les œuvres et la vie. Comme l'affirmait Georges Braque :

 « Avec l'âge l'art et la vie ne font qu'un ».

 Tout est dit !









Commentaires

  1. Un appartement comme une galerie, où la lumière joue avec les meubles et objets. Comme toujours tes photos Gisèle, révèlent l'atmosphère du lieu et le goût de ton hôtesse et cela nous inspire.

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  2. Moi je m’alignerais bien sur la chaise longue le Corbusier, environné de tous ces objets d’art !

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